AFRICA CEO FORUM 2025 – ELLES PRENNENT LE LEAD. MAIS SUR QUEL TERRAIN ?

Quand la visibilité des femmes africaines cache encore des angles morts de pouvoir

En 2025, les femmes sont plus nombreuses que jamais sur les scènes économiques africaines. Mais que nous dit cette visibilité accrue du pouvoir réel qu’elles exercent ? Dans cette tribune, Amandine Bonny interroge la portée et les limites de ce leadership féminin émergent au Africa CEO Forum, et appelle à une transformation systémique qui dépasse la simple représentativité.
Elles sont économistes, ministres, ingénieures, investisseuses, CEO de multinationales ou fondatrices de start-up. En 2025, les femmes africaines sont plus visibles que jamais au Africa CEO Forum. Elles prennent la parole, elles prennent la scène, elles prennent le lead. C’est indéniable.
 
Depuis 2018, le nombre de femmes intervenantes a plus que doublé. Des trophées comme le Gender Leader of the Year ont vu le jour pour récompenser les entreprises les plus engagées pour l’égalité. Des initiatives comme Women Working for Change, Women on Board ou Women in VC structurent une nouvelle dynamique panafricaine.
 
Mais au-delà des symboles, l’essentiel reste à interroger : que signifie vraiment “prendre le lead” dans un système qui reste fondamentalement structuré par des rapports de pouvoir anciens ? 
 
LA VISIBILITÉ NE FAIT PAS LE POUVOIR
 
Depuis le lancement de l’initiative Women Working for Change en 2017, la place des femmes au Africa CEO Forum n’a cessé de croître. À chaque édition, elles sont plus nombreuses à figurer parmi les intervenantes, plus visibles dans les panels, plus présentes dans les espaces de networking. Cette progression est réelle, mesurable, et porteuse d’espoir.
 
Mais la présence ne suffit pas à garantir l’influence.
 
Si l’on observe attentivement les postes occupés par ces femmes, une tendance se dégage : elles sont nombreuses dans les fonctions dites « de soutien » communication, ressources humaines, RSE, inclusion mais encore trop peu dans les structures du pouvoir dur : financement des infrastructures, négociations stratégiques, directions d’investissement, régulation ou gouvernance régionale.
 
Bien sûr, des figures comme Diane Karusisi (DG de la Bank of Kigali), Mitwa Ng’ambi (DG de MTN Côte d’Ivoire) ou Mayowa Kuyoro (partner chez McKinsey Afrique) incarnent une percée dans les sphères dures de l’économie africaine. Mais ces femmes restent l’exception, pas encore la norme.
 
Dans les panels dits « mixtes », leur voix est parfois surreprésentée en nombre mais sous-considérée dans le fond : modératrices plus que décideuses, invitées pour équilibrer les photos plus que pour orienter les feuilles de route. En 2019 par exemple, plusieurs femmes animaient les panels phares… mais les accords stratégiques se signaient ailleurs, souvent entre pairs masculins.
 
Et il faut poser cette question dérangeante, mais nécessaire : assiste-t-on à une montée en compétence ou à une montée en vitrine ?
 
L’apparente parité de genre dans les grands événements économiques peut parfois masquer une absence de pouvoir structurel. On applaudit les femmes sur scène, mais qui signe les accords ? Qui oriente les investissements ? Qui rédige les règlements ?
 
C’est là que se joue le vrai pouvoir. Et c’est là que le combat ne fait que commencer.
 
DES FIGURES FORTES, MAIS DES STRUCTURES QUI RÉSISTENT
 
On ne peut nier la qualité des profils féminins africains présents à cette édition 2025. Leur expertise est solide, leur parcours impressionnant, leur légitimité indiscutable. Mitwa Ng’ambi a su imposer sa vision au sein d’un géant des télécoms. Clare Akamanzi, après avoir transformé le Rwanda Development Board, est aujourd’hui à la tête de NBA Africa. Diane Karusisi dirige avec rigueur l’une des banques les plus dynamiques de l’Afrique de l’Est.
 
Ces femmes ne sont pas juste des symboles : ce sont des actrices stratégiques de premier plan. Mais poser leurs noms sur des affiches ne suffit pas à faire bouger les lignes profondes.
 
Le pouvoir économique africain comme ailleurs reste façonné par des structures profondément genrées, souvent invisibles mais puissamment actives. On attend des femmes qu’elles soient inspirantes, exemplaires, résilientes… sans jamais s’attaquer aux résistances systémiques qui freinent leur progression.
 
Combien d’entre elles siègent réellement dans les conseils d’administration des plus grands groupes africains ? Combien ont un droit de regard sur l’allocation du capital dans les institutions financières ? Combien participent aux décisions qui définissent l’avenir énergétique, industriel, ou technologique du continent ?
 
La vérité est brutale : les figures féminines progressent, mais les structures de pouvoir, elles, évoluent à pas comptés.
 
Et dans ce grand jeu de la représentativité, le risque est réel de voir les femmes être intégrées au système sans jamais être en mesure de le transformer.
 
On les invite à la table, mais sans redéfinir les règles du banquet.
On valorise leur “leadership féminin”, tant qu’il reste conforme, poli, non dérangeant tant qu’il ne menace pas l’ordre établi.
 
Selon le baromètre genre Deloitte publié lors du forum de 2022, seulement 17 % des entreprises africaines ont un board paritaire ou féminisé, alors même que 64 % affirment recevoir autant de candidatures masculines que féminines aux postes de direction.
 
Alors oui, il faut saluer les trajectoires individuelles. Mais il est temps de passer du culte des héroïnes isolées à la construction de collectifs puissants.
 
Ce n’est qu’à ce prix que les figures pourront faire bouger les structures.
 
APPEL À UN LEADERSHIP D’INTENTION ET DE TRANSFORMATION

 

Ce que révèle cette édition 2025 du Africa CEO Forum, ce n’est pas seulement la montée des femmes africaines dans les espaces de pouvoir. C’est aussi la nécessité d’un autre type de pouvoir.
 
Le leadership féminin ne doit pas se contenter de reproduire les logiques dominantes. Il peut il doit porter une autre vision de la performance, du capital, de l’impact.
Un leadership de lien plutôt que de domination.
Un leadership de long terme, enraciné, qui parle autant d’influence que d’équité, autant de performance que de justice sociale.
 
Ce qu’il faut encourager aujourd’hui, ce sont des formes d’engagement collectives, intentionnelles et transformatrices.
 
Des coalitions de femmes africaines qui ne cherchent pas simplement à “faire leur place”, mais à refaçonner les règles du jeu.
Des cercles d’impact, intergénérationnels et panafricains, capables d’agir en profondeur dans les secteurs clés de l’économie : infrastructures, finance, transition énergétique, tech, souveraineté alimentaire.
 
Certaines de ces dynamiques existent déjà :
•Women on Board a permis à plus de 20 femmes d’intégrer des conseils d’administration depuis 2018,
•Women in VC a été lancé pour faire émerger une nouvelle génération d’investisseuses africaines,
•Women Working for Change accompagne désormais plus de 1000 dirigeantes à travers le continent.
 
Ces initiatives montrent qu’un autre modèle est non seulement souhaité, mais déjà en construction. Encore fragile, certes. Mais bien réel.
 
Cela demande du courage. Cela demande de la stratégie.
Et cela demande aussi que les institutions, les bailleurs, les États et les entreprises africaines aient le courage d’investir différemment.
 
Pas seulement dans des projets dirigés par des femmes, mais dans une vision économique portée par des femmes.
 
Alors oui, elles prennent le lead.
Mais la vraie question est là : sur quel terrain ? Avec quelles règles ? Et pour quel avenir ?
 
Il ne suffit pas d’être visibles. Il faut être décisives.
Il ne suffit pas d’occuper la scène. Il faut écrire le scénario.
 
Et cela commence ici. Maintenant.

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